Il s’agit d’une question qui fascine de nombreux consommateurs, notamment les utilisateurs de logiciels libres. La vente d’un ordinateur avec des logiciels préinstallés est-elle répréhensible car constitutive d’une pratique déloyale ?

La réponse n’est pas si simple et de nombreux jugements semblent se contredirent s’ils ne sont pas étudiés avec minutie.

Historique législatif

La loi française pourtant, semblait (presque) claire à ce sujet. L’article L 120-1  du Code de la Consommation, dans sa rédaction antérieure à 2011, posait le principe général de l’interdiction de la vente liée. Un principe simple où il ne suffisait plus qu’à déterminer ce qu’est une vente liée pour permettre au consommateur  de réclamer l’application de l’interdiction générale.

La jurisprudence a régulièrement précisé ce qu’il fallait entendre par vente liée ou autrement appelée « vente jumelée » visée par l’article L 122-1 du Code de la Consommation. Ainsi, l’interdiction de vente liée ne s’applique pas en cas de groupage de produits identiques dans un même conditionnement[1]ou de produits complémentaires dès lors qu’ils ne forment pas un produit unique[2].

Notre législation française n’était pas la seule à édicter une interdiction générale en matière de vente liée, la législation belge le prévoyait également.

C’était cependant sans compter sur l’intervention du législateur européen qui a promulgué une directive en 2005[3]sur les pratiques commerciales déloyales qui ne prévoyait pas une telle interdiction. Malgré la possibilité laissée par la directive aux législations nationales de prévoir des dispositions plus restrictives (jusqu’au 12 juin 2013[4]), la CJCE a jugé en 2009 que l’interdiction générale d’une vente liée était contraire à la directive et qu’une telle pratique devait être  appréciée au regard des critères fixés par celle-ci[5].

La transposabilité de cette solution à notre législation ne laissant planer aucun doute, le législateur français a modifié en 2011 l’article L. 122-1 du Code de la Consommation pour supprimer l’interdiction générale de la vente liée en précisant qu’une telle subordination n’est interdite que si elle constitue une pratique déloyale[6](au sens de l’article L. 120-1 du Code de de Consommation).

Application jurisprudentielle 

Comme nous l’avons vu précédemment, avant la promulgation et l’application de la directive européenne de 2005 ; il aurait été aisé pour le juge, au vu de la jurisprudence d’appliquer l’interdiction générale de vente liée en matière de logiciel et d’ordinateur.

Prenons un ordinateur lambda proposé à un consommateur : l’adjonction de logiciels préenregistrés, bien que l’on peut considérer (et encore) qu’il s’agisse de produits complémentaires, ne semble pas former un produit unique[7].  Les juges auraient alors retenu la vente liée et le consommateur aurait pu obtenir dans presque tous les cas de figure le remboursement  de ces logiciels.

Cependant, la nouvelle rédaction de l’article L.122-1 fait référence aux pratiques commerciales déloyales au sens de l’article L.120-1 et ne prévoit plus d’interdiction générale. L’article L. 120-1 reprend la directive précitée et cette dernière ne prévoit pas expressément la vente liée comme étant une pratique commerciale déloyale[8].

En conséquence, pour être qualifiée de pratique déloyale, la vente liée doit être accompagnée de pratiques qui  sont elles-mêmes déloyales.

L’étude de quelques arrêts récents illustre parfaitement cette évolution législative que de nombreux juges peinent encore à appliquer:

Dans un arrêt du 5 février 2014[9], la Cour de cassation a cassé une décision de première instance qui avait retenu une application dépassée de la vente liée en matière de logiciels. Pour accueillir la demande de remboursement du prix de logiciels pré-installés, les juges avaient retenus que la société (Lenevo France en l’espèce) a exigé le paiement immédiat ou différé de produits fournis au consommateur sans que celui-ci les ait demandés. Ces mêmes juges ont également précisé que l’ordinateur et les logiciels sont deux éléments intrinsèquement distincts et par conséquence, il ne pouvait être imposé au consommateur d’adjoindre obligatoirement un logiciel pré-installé à un type d’ordinateur dont les spécifications propres mais uniquement matérielles avaient dicté son choix.

Fort logiquement, la Haute Juridiction a censuré cette solution en appliquant les nouvelles dispositions issues de la directive européenne de 2005. Elle a ainsi précisé que le consommateur avait délibérément acquis l’ordinateur litigieux sans demander le remboursement du prix des logiciels dont il connaissait l’installation préalable et qu’il appartenait aux juge de vérifier que le consommateur ne pouvait se procurer un ordinateur « nu » identique auprès de la société Lenovo France.

Ainsi, la vente liée n’est condamnable que si le consommateur n’est pas informé de la présence des logiciels[10] ou s’il lui est impossible de se procurer un même ordinateur sans ces logiciels.

Concrètement, il appartient au consommateur de rechercher dans un premier temps s’il existe une version sans logiciel pré-enregistré de l’ordinateur qu’il souhaite acheter pour pouvoir, le cas échéant, rechercher une indemnisation auprès du vendeur professionnel.

Le consommateur pourra cependant toujours demander un remboursement si le professionnel a commercialisé un ordinateur équipé de logiciels sans communiquer les informations relatives aux conditions d’utilisation de ces logiciels (en faisant remarquer que le professionnel s’expose également à des sanctions pénales).

Pour l’observation de ces pratiques, les juges retiennent le critère du consommateur moyen, sans avoir égard aux qualités propres du consommateur ayant conclu le contrat litigieux[11].

Critique de cette protection en demi-teinte

La protection du consommateur en cas de vente liée, certes réduite par l’application de la directive européenne de 2005, semble proportionnée. Le consommateur moyen, objet de toutes les attentions en matière de droit de la consommation car représentatif du plus grand nombre pour des lois qui se veulent protectrices et équitables, ne possède (bien) souvent pas les connaissances techniques requises pour profiter d’un ordinateur « nu ». L’installation d’un  système d’exploitation, par exemple, requiert des connaissances informatiques qui peuvent échapper à ce « consommateur moyen ». Il lui est alors fort appréciable de profiter d’un ordinateur « clefs en mains » sans se soucier de ces contingences informatiques. La généralisation des offres au public d’ordinateurs prêt à l’emploi permet un gain de temps pour ce consommateur mais également d’argent: bien souvent les licences d’exploitation sont plus chères à l’unité que lorsqu’elles sont déjà intégrées dans l’ordinateur. Pour le consommateur plus avisé en la matière ou simplement plus économe, la jurisprudence prévoit toujours la possibilité, pour ce dernier, d’acquérir une machine vierge de tout programmes préenregistrés. Il n’incombera alors à ce consommateur que la démarche d’en faire la recherche.

Une telle solution n’est cependant pas exempte de toute critique ou difficulté. Bien souvent, le consommateur doit se tourner vers les offres professionnelles pour trouver un ordinateur « vierge », donc mal adaptées et difficilement accessibles.

Maj 12/06/2014: Un nouvel arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris en la matière en date du 5 juin 2014 confirme cette position jurisprudentielle en déboutant le demandeur, car il pouvait se procurer des ordinateurs « nus » en parcourant les offres destinées aux professionnels. (Cour d’appel de Paris Pôle 5, chambre 5 Arrêt du 05 juin 2014 UFC Que choisir / Hewlett Packard France)

[1] Cass. Crim. 30 nov. 1981

[2] CA Colmar 13 mars 1980

[3] Directive 2005/29/CE

[4] Art. 3 de la directive 2005/29/CE

[5] CJCE 23 avril 2009 : RJDA 8-9/09 n° 786

[6] Loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 art. 45

[7] Au sens de la décision de la CA  de Colmar 13-3-1980 et la de la Cour de Cass. Crim. 30 nov.1981

[8] Voir la liste des pratiques déloyales aux articles L. 121-1, L121-1-1 du code de la Consommation, articles L.122-11 et L.122-11-1 dudit code pour les pratique commerciales agressives.

[9] Cass. 1ie Cb Civ. 5 fév. 2014 n°12-25.748

[10] Voir en ce sens une condamnation pour manque d’information : Cass. 1Civ. 6 oct. 2011 n° 10-10.800

[11] Cass. 1ie Cb Civ. 22 janv. 2014

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