Sur la présomption de l’INA de disposer des droits des artistes

(L’arrêt est disponible en bas de page)

Dans cette affaire, la Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes de la musique et autres (notamment des ayants droit d’artistes) reprochaient à l’INA (Institut national de l’audiovisuel) de commercialiser sur son site internet sans leur autorisation des vidéogrammes et un phonogrammes reproduisant des prestations desdits artistes.

Un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (14 novembre 2019, affaire C-484/18) a dit pour droit que la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil ne s’oppose pas à une législation nationale qui établit une présomption réfragable d’autorisation de l’artiste-interprète à la fixation et à l’exploitation de sa prestation quand cet artiste-interprète participe à l’enregistrement  d’une oeuvre audiovisuelle aux fins de sa radiodiffusion.

En l’espèce, la Cour de cassation estime que l’artiste interprète avait participé en connaissance de cause sur la finalité et l’utilisation de l’enregistrement et que l’INA pouvait ainsi profiter de la présomption simple d’autorisation qui pouvait être combattue. Dès lors, le droit exclusif de l’artiste-interprète n’est pas remis en cause.

 

 


 

Arrêt n°47 du 22 janvier 2020 (17-18.177) – Cour de cassation – Première chambre civile
– ECLI:FR:CCASS:2020:C100047

Rejet

Demandeur(s) : Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes de la musique et de la danse ; et autres

Défendeur(s) : Institut national de l’audiovisuel


Intervenants volontaires :

1°/ Le Syndicat indépendant des artistes-interprètes (SIA-UNSA)

2°/ Le Syndicat français des artistes-interprètes (CGT)

1. Selon l’arrêt attaqué (Versailles, 10 mars 2017), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 14 octobre 2015, pourvoi n° 14-19.917, Bull. 2015, I, n° 244), reprochant à l’Institut national de l’audiovisuel (INA) de commercialiser sur son site Internet, sans leur autorisation, des vidéogrammes et un phonogramme reproduisant les prestations de A… Z…, dit B… C…, batteur de jazz décédé le […] 1985, MM. X… et Y…, ses ayants droit, l’ont assigné pour obtenir réparation de l’atteinte ainsi prétendument portée aux droits d’artiste-interprète dont ils sont titulaires, en invoquant l’article L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle, aux termes duquel sont soumises à l’autorisation écrite de l’artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public, ainsi que toute utilisation séparée du son et de l’image de la prestation lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour le son et l’image.

2. Devant la cour d’appel de renvoi, la Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes de la musique et de la danse (Spedidam) est intervenue volontairement, tant à l’appui des prétentions de MM. X… et Y…, qu’à titre principal en sollicitant la condamnation de l’INA à lui payer des dommages-intérêts en réparation du préjudice collectif subi par la profession d’artiste-interprète.

3. Par arrêt du 11 juillet 2018 (1re Civ., pourvoi n° 17-18.177, publié), la Cour a rejeté le premier moyen du pourvoi dirigé contre le chef de l’arrêt déclarant irrecevable l’intervention de la Spedidam et saisi la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle portant sur l’interprétation des articles 2, sous b), 3, paragraphe 2, sous a), et 5 de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, au regard de l’article 49, II, de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, modifiée par l’article 44 de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006, instaurant, au profit de l’INA, un régime dérogatoire pour l’exploitation des prestations des artistes-interprètes constituant son fonds.

Examen du moyen

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

4. MM. X… et Y… font grief à l’arrêt de rejeter leurs demandes, alors :

« 1°/ que l’article 2, sous b), et l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/29/CE disposent respectivement que les Etats membres attribuent aux artistes interprètes le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte des fixations de leurs exécutions par quelque moyen que ce soit et sous quelque forme que ce soit ainsi que le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la communication au public de ces fixations ; que sous réserve des exceptions et limitations prévues de façon exhaustive à l’article 5 de la directive, toute utilisation de la fixation d’une interprétation effectuée par un tiers sans le consentement préalable de l’artiste interprète doit être regardée comme portant atteinte à ses droits ; qu’aux termes de l’article 49, II, de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dans sa rédaction issue de l’article 44 de la loi du 1er août 2006, ‟l’institut exerce les droits d’exploitation mentionnés au présent paragraphe dans le respect des droits moraux et patrimoniaux des titulaires de droits d’auteurs ou de droits voisins du droit d’auteur et de leurs ayants droit. Toutefois, par dérogation aux articles L. 212-3 et L. 212-4 du code de la propriété intellectuelle, les conditions d’exploitation des prestations des artistes-interprètes des archives mentionnées au présent article et les rémunérations auxquelles cette exploitation donne lieu sont régies par des accords conclus entre les artistes-interprètes eux-mêmes ou les organisations de salariés représentatives des artistes-interprètes eux-mêmes et l’institut. Ces accords doivent notamment préciser le barème des rémunérations et les modalités de versement de ces rémunérations” ; que, si l’applicabilité du régime dérogatoire institué au profit de l’INA n’est pas subordonnée à la preuve de l’autorisation par l’artiste interprète de la première exploitation de sa prestation, les dispositions en cause n’instaurent aucune présomption simple d’autorisation préalable de l’artiste-interprète à l’exploitation par l’INA des archives qui contiennent son interprétation ; qu’en affirmant le contraire pour dispenser l’INA de rapporter la preuve de ce consentement et ainsi débouter les héritiers de B… C… de leurs demandes de dommages- intérêts, la cour d’appel a violé l’article 49, II, de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dans sa rédaction issue de l’article 44 de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 et les articles 2, 3, 5 de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information ;

2°/ que l’article 2, sous b), et l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/29/CE disposent respectivement que les Etats membres attribuent aux artistes interprètes le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte des fixations de leurs exécutions par quelque moyen que ce soit et sous quelque forme que ce soit ainsi que le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la communication au public de ces fixations ; que, sous réserve des exceptions et limitations prévues de façon exhaustive à l’article 5 de la directive 2001/29, toute utilisation de la fixation d’une interprétation effectuée par un tiers sans le consentement préalable de l’artiste interprète doit être regardée comme portant atteinte à ses droits ; que, si les dispositions des articles 2, sous b), et 3, paragraphe 2, de la directive 2001/29/CE permettent la prise en compte d’un consentement exprimé de manière implicite et non seulement par écrit, l’objectif de protection élevé des artistes interprètes auquel se réfère le considérant 9 de la directive implique que les conditions dans lesquelles une présomption de consentement peut être admise soient strictement définies afin de ne pas priver de portée le principe même du consentement préalable de l’artiste-interprète ; qu’en particulier, tout artiste-interprète doit être effectivement informé de la future utilisation de la fixation de son interprétation par un tiers, des hypothèses dans lesquelles son consentement à cette utilisation peut être présumé ainsi que des moyens mis à sa disposition en vue de l’interdire s’il le souhaite ; qu’en considérant que l’article 49, II, de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dans sa rédaction issue de l’article 44 de la loi du 1er août 2006 instituait valablement au bénéfice de l’INA une présomption simple de consentement préalable de l’artiste-interprète à l’exploitation commerciale de la fixation de ses prestations figurant dans les archives de l’institut sans rechercher si les dispositions en cause aménageaient des garanties assurant l’information effective et individualisée des artistes-interprètes sur l’éventualité d’une telle exploitation, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 49, II, de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dans sa rédaction issue de l’article 44 de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006, 2, 3, 5 de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information ;

3°/ que, si la mission de conserver et mettre en valeur le patrimoine audiovisuel national assumée par l’INA est d’intérêt général, la poursuite de cet objectif et de cet intérêt ne saurait justifier une dérogation non prévue par le législateur de l’Union à la protection assurée aux artistes-interprètes par la directive 2001/29/CE permettant à l’INA d’exploiter commercialement les supports sur lesquels ont été fixées leurs interprétations ; qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé l’article 49, II, de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dans sa rédaction issue de l’article 44 de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 et les articles 2, 3, 5 de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.  »

Réponse de la Cour

5. Par arrêt du 14 novembre 2019 (affaire C-484/18), la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que l’article 2, sous b), et l’article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation nationale qui établit, en matière d’exploitation d’archives audiovisuelles par une institution désignée à cette fin, une présomption réfragable d’autorisation de l’artiste-interprète à la fixation et à l’exploitation de sa prestation, lorsque cet artiste-interprète participe à l’enregistrement d’une œuvre audiovisuelle aux fins de sa radiodiffusion.

6. L’arrêt attaqué constate que l’INA a une mission particulière donnée par les lois successives de conserver et de mettre en valeur le patrimoine audiovisuel national, qu’il assure la conservation des archives audiovisuelles des sociétés nationales de programme et contribue à leur exploitation, qu’il détient seul les archives de son fonds et qu’il est seul titulaire des droits de leur exploitation. Il ajoute que les vidéogrammes et phonogrammes litigieux sont soumis au régime dérogatoire dont bénéficie l’INA.

7. Il en résulte que l’artiste-interprète B… C… avait participé à la réalisation de ces œuvres aux fins de leur radiodiffusion par des sociétés nationales de programme et qu’il avait, d’une part, connaissance de l’utilisation envisagée de sa prestation, d’autre part, effectué sa prestation aux fins d’une telle utilisation.

8. Dès lors, c’est à bon droit que la cour d’appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a énoncé qu’en exonérant l’INA de prouver par un écrit l’autorisation donnée par l’artiste-interprète, l’article 49, II, de la loi du 30 septembre 1986 modifiée, ne supprime pas l’exigence de ce consentement mais instaure une présomption simple d’autorisation qui peut être combattue et ne remet pas en cause le droit exclusif de l’artiste-interprète d’autoriser ou d’interdire la reproduction de sa prestation ainsi que sa communication et sa mise à la disposition du public.

9. Le moyen n’est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;


Président : Mme Batut
Rapporteur : Mme Le Gall, conseiller référendaire
Avocat général : Mme Legohérel, avocat général référendaire
Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan – SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer

 

 

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